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Fait et à faire 2012-2016,

vidéos, sculptures, photographies, dessins d'enfant, production culturelle

 « Ni fait, ni à faire était l’exclamation traditionnelle des patronnes bourgeoises devant un travail insatisfaisant de leur bonne. « Fait et à faire » pourrait être le sous-titre de tout écrit philosophique digne de ce nom. »

Cornelius Castoriadis (Les carrefours du labyrinthe V), Paris, Seuil, 1997, p. 7

       

 

      

En cherchant à redéfinir le principe d’actualisation du travail plastique dans son moment socio-politique et culturel, tout en prolongeant le projet de mobilité que sous-tendent mes productions sculpturales, nous avons non pas tant supposé un moment de consécration, qu’ouvert la dimension plastique à un tissage des imaginaires en prenant en compte des pratiques effectives (d’écriture, graphique mais aussi culturelle) des publics.

      En rendant publiques mes productions en cours de travail, c’est probablement moins ces dernières qui sont exposées que l’action de rendre public qui se trouve interrogée et mise à l’épreuve. En décrochant ma pratique du domaine réservé et coupé d’une réalité sociale pour la faire accéder à sa publicité, il ne s’agissait pas pour autant d’opérer une production de la praxis et son institutionnalisation. En souhaitant exposer ces volumes indéterminés, je cherchais intuitivement à différer ce processus intériorisé qui opère prématurément des procédures d’intégration et les régimes de commandement qui forcent à l’exposition des significations, quand bien même ces volumes n’échappent guère à leurs transmutations en objets artistiques et culturels.

        En associant intuitivement les sculptures et les films d’animation des sculptures, il s’agissait, certes, d’investir un nouvel espace sculptural à même de solliciter quelques initiatives relationnelles : la construction d’un rapport d’échelle, des passages du bidimensionnel au tridimensionnel, de la matérialité à la virtualité, de l’histoire aux histoires personnelles, des imaginaires individuels aux imaginaires culturels ; mais aussi de favoriser des rencontres, des confrontations, des retrouvailles, des divergences... entre les usagers d’une institution, entre les publics extérieurs à elle, en prenant pleinement conscience des régulations implicites et explicites, tout en tentant d’ouvrir quelques brèches infinitésimales et nécessaires.

       Cette proposition, dont la dimension clinique reste centrale, s’appuie sur les constituants intériorisés d’une pratique artistique et professionnelle (relative à l’enseignement et à la formation), tant il est vrai que les uns ont forcément des influences sur les autres. Influences qui ne me semblent pas (suffisamment) élucidées quels que soient les lieux où l’on enseigne, quels que soient les lieux où l’on expose. Il s’avère que l’économie d’une telle question contribue à maintenir (le spectacle de) la critique dans la tornade d’un esprit du capitalisme qui, quels que soient les contextes et les pratiques, réalise ses intentions par des actes qui la contrarient constamment. Les artistes collaboreraient-ils ainsi à la construction d’instances artistiques soi-disant activantes sans soupçonner un seul instant que la critique qu’ils proclament opère un déni des « forces instituantes » donc critiques de chacun ?

       Quelles relations ouvraient ces uniformes en forme de tamis ou ces grisailles en quête d’indétermination pour les publics ? Pour les élèves de CE2 et CM1, bien loin d’une logique de médiation culturelle qui renforce des modèles d’assujettissement et d’infantilisation — donnant de la matière pour fabuler­ —, j’ai cherché par des moyens relativement simples, à libérer un « peu » d’autonomie suffisante pour y révéler un pouvoir être dans une situation qui habituellement n’en offre pas toujours. Les mêmes élèves, revus un an après leur première visite, se sont souvenus de la place qu’ils pouvaient s’autoriser à prendre dans ce moment culturel obligé. Évidemment je n’ai pas poussé plus loin l’analyse clinique, parce que ces situations ne s’inscrivent pas dans un cadre institué d’analyse des pratiques, qui aurait pu donner aux pratiques ses chances d’être explicitement « formatives » et d’accéder à une praxis. Comme le rappelle François Tosquelles :

« La praxis n’est pas une pratique. Il ne faut pas se leurrer à ce sujet. La praxis est l’élaboration collective, dans un groupe, des pratiques vécues dans le quotidien. La pratique peut se situer dans le plan des élaborations primaire de la pensée, pas la praxis. Cela présuppose le collectif : un collectif articulé, pas massifié ou agglutiné. C’est le propre du champ symbolique, et cela par opposition avec les champs fascinants de l’imaginaire dans ses fastes. Concrètement il s’agit de champs collectifs qui ne sont pas entraînés par un mirage en forme de leader, mais des espaces humains faisant suite à l’élaboration de la triangulation œdipienne de chacun. C’est là où la parole adressée à l’autre porte identité pour un chacun, hors des fusions et des effusions affectives, et du parasitisme social ; c’est là que le champ institutionnel devient le lieu d’élaboration et de dépassement de l’amphibie fatalement abiotrophique, celle de la symbiose, et finalement dépassement de l’idéalisation d’un logos sans paradoxes ni conséquences. »

      

       Les emportements (pseudo-) critiques ne peuvent se travailler qu’au prix de dégagements imaginaires et de résistances à quelques fonctionnements, en commençant par celui largement répandu d’autoproclamer artistiquement une chose, contrariée elle-même par ses modalités effectives. L’exposition de Pierre Bismuth, intitulée « Ce qui n’a jamais été/ ce qui pourrait être » s’est-elle soumise à l’analyse de l’intention qu’elle expose ? Pourquoi l’artiste devrait-il se soustraire à l’analyse de ses dispositifs, en prenant justement les analyseurs qu’il expose : « Émanciper le regard des publics », « imaginer comment les choses pourraient être différentes », « déconstruire les habitudes de penser pour réenvisager de nouveaux usages ou de dispositifs »? Ces intentions, certes louables, illustrées probablement par les trouées effectuées dans les cloisons des lieux culturels, reste un acte de persuasion plutôt binaire. Le non advenu du potentiel, cher à l’artiste, n’est envisageable que dans une analyse clinique de son propre dispositif qui démontrerait comment les effets plastiques et artistiques de dysfonctionnements ou de désordres s’exposent aux publics — donc se soumettent au sens— de manière à contribuer à un certain ordre social parce que les surprises sont finalement attendues et les ruptures non advenues. L’imaginaire ici convoqué se débarrasse de toute intervention critique en ce qu’il fonctionne tacitement avec celui de la culture, donc ne peut déboucher sur un travail visant la transformation des relations observées.

 

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